Auteur: Arsan – 19/02/2024
Interview du secrétaire-général adjoint de l’OIPC (Organisation International de Protection Civile) de retour de Gaza.
Interview du 9 février 2024, depuis Genève par Arslan.L
L’interview réalisée avec le représentant de l’Organisation Internationale de Protection Civile (OIPC) apporte un témoignage poignant et détaillé sur la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, marquée par d’immenses souffrances, des destructions massives et une situation de blocus quasi-totale. Ce témoignage de première main, offert par une source impliquée directement dans les efforts humanitaires sur le terrain, souligne tout d’abord l’ampleur des pertes humaines, avec des estimations alarmantes de décès bien au-delà des chiffres officiellement reconnus. La mention de 60 000 morts potentielles, y compris ceux disparus sous les déclins, et la prévision que ce chiffre pourrait finalement dépasser les 80 000 victimes, avec en exergue une tragédie humaine d’une ampleur exceptionnelle.
Le récit met en lumière la situation désespérée des civils à Gaza, confronté non seulement à la destruction de leur environnement immédiat, mais également à l’impossibilité d’accéder aux besoins les plus élémentaires tels que l’eau et l’électricité, exacerbant ainsi le risque de maladies et de famine. L’incapacité des populations civiles à quitter la bande de Gaza, en raison des restrictions imposées par Israël et l’Égypte, soulève de graves préoccupations en matière de droit humanitaire international.
La dimension géopolitique de ce conflit telle que décrite par Andrei Kudinov est complexifiée par l’attitude ambiguë sur le terrain de l’autorité palestinienne, de l’Égypte et d’autres États arabes, dont les actions ou l’inaction contribuent à la souffrance des populations de Gaza. L’entretien dépeint une situation où les actions et les politiques de ces acteurs, tant au niveau local que régional, ont des implications directes sur le terrain, affectant la livraison de l’aide humanitaire et la sécurité des civils.
L’ampleur des destructions décrites dans l’entretien, avec des infrastructures civiles exclusivement ciblées, soulève des questions urgentes sur les obligations des parties en conflit en vertu du droit international humanitaire, notamment la protection des civils et des infrastructures civiles. La mention de l’utilisation d’armes à large rayon d’impact par Israël contre des zones densément peuplées de Gaza illustre la brutalité du conflit et ses effets dévastateurs sur la population civile.
Par ailleurs, la comparaison établie entre le traitement du conflit à Gaza et celui en Ukraine par la communauté internationale et les médias souligne une disparité flagrante dans l’attention et l’engagement international. Tandis que le conflit ukrainien a mobilisé une large couverture médiatique et un soutien international considérable, la situation à Gaza semble reléguée à un plan secondaire, avec l’absence de réelle pression diplomatique exercée sur Israël pour respecter le droit humanitaire international. Cette différence de traitement révèle un double standard dans la réponse internationale aux crises humanitaires, influencée par des considérations politiques, stratégiques et médiatiques. Une différence de traitement qui nourrit d’ailleurs le ressentiment des opinions des nations du Sud Global à l’égard de l’Occident.
Le témoignage fourni par l’OIPC illustre clairement comment le conflit de Gaza est enchevêtré dans un réseau de relations internationales complexes, où les alliances politiques, les intérêts stratégiques et les calculs économiques influencent profondément la conduite et la résolution du conflit. Les révélations sur l’attitude des États arabes et de l’Égypte, qui semblent adopter une position passive ou même complice face aux souffrances des Palestiniens, ajoutent une autre couche de complexité, mettant en lumière les divisions et les rivalités au sein du monde arabe. En outre, l’interview met en avant le rôle crucial mais souvent entravé des organisations humanitaires internationales, telles que l’OIPC et le CICR, dans leurs efforts pour apporter assistance et réconfort aux populations civiles prises au piège du conflit. Leur travail, entravé par les obstacles bureaucratiques, les restrictions d’accès et les manipulations politiques, souligne l’urgence d’une réforme du système international de réponse aux crises humanitaires, pour qu’il soit plus efficace, plus équitable et plus réactif aux besoins des populations les plus vulnérables.
Cette analyse, en élargissant le cadre de réflexion au-delà des simples constats de souffrance et de destruction, invite à une prise de conscience de la complexité des enjeux géopolitiques à l’œuvre et de la nécessité d’une action internationale plus cohérente et plus engagé. Elle appelle à une solidarité internationale renouvelée, dépassant les calculs politiques et stratégiques, pour placer la protection des droits humains et le respect du droit international humanitaire au cœur des réponses aux conflits.
L’Organisation Internationale de Protection Civile (OIPC), basée à Genève, est la principale entité dans le domaine de la sécurité civile. Elle a été établie en 1931 à Paris par le chirurgien George Saint-Paul et se distingue par son rôle actif dans les efforts de prévention et de gestion des situations de crise. Elle joue un rôle crucial dans le renforcement de la coopération entre les nations et la coordination de l’aide internationale. En particulier, l’OIPC s’est distinguée par son intervention à Gaza, où elle a fourni une assistance humanitaire substantielle, y compris de la nourriture, des articles d’hygiène, des installations de bio-toilettes et des médicaments à la population civile, malgré les défis et les conditions difficiles sur le terrain. L’organisation a aussi pris part à l’évacuation de citoyens étrangers de Gaza, sous la supervision d’Andrei Kudinov, le secrétaire général adjoint de l’OIPC. M. Kudinov a partagé des détails exclusifs sur la situation humanitaire complexe à Gaza, révélant des faits sur les pertes humaines largement sous-évaluées et les comportements inattendus de certains Etats et autres intervenants sur place.
1). De retour de Rafah où vous avez passé plusieurs semaines pour venir en aide aux populations civiles de Gaza au nom de l’OPIC, que pouvez-vous nous dire de la situation ?
La situation est absolument désastreuse pour les civils de Gaza et tout concourt à aggraver encore la souffrance des populations. Ainsi, si nous déplorons déjà la mort d’environ 30.000 personnes, dont principalement des enfants, nos estimations au sein de l’OIPC tablent plutôt sur un bilan de 60.000 morts potentiels en comptant les personnes disparues, prisonnières sous les décombres des immeubles détruits et les blessés graves dont les chances de survie sont très limitées dans un contexte de guerre où les civils sont spécifiquement visés. A l’appui du recul de notre expérience en matière de gestion des catastrophes humanitaires, nous pensons que le bilan final dépassera malheureusement les 80.000 morts à Gaza, représentant environ 3% de la population totale officielle de Gaza.
Faut-il encore ajouter à ces chiffres, les personnes blessées dont on estime déjà le nombre au-delà des 100.000 dont beaucoup de victimes définitivement handicapées ou amputées d’un ou plusieurs membres. De même, nous estimons qu’environ un million et demi de gazaouis vont continuer à souffrir de séquelles psychologiques graves et durables, notamment chez les enfants. La situation est également désastreuse au regard des destructions systématiques du bâtit, des équipements, des établissements scolaires et des hôpitaux et plus largement des infrastructures civiles. Ainsi, presque deux millions de gazaouis sont désormais sans logis, rendant impossible tout maintien de la population dans des conditions de vie humaines dignes et acceptables à l’avenir. Et enfin, prenez en compte le fait que la population n’a plus aucun accès direct à l’eau et à l’électricité et qu’elle subit désormais la famine et que des épidémies commencent à apparaitre. Ce qui nous laisse craindre tous les pires scénarios.
2). Vous avez déploré le fait que les populations civiles ne peuvent pas quitter la bande de Gaza. Pensez-vous que l’Etat d’Israël viole toutes les règles du droit humanitaire en filtrant même les populations lorsque ces dernières s’éloignent des zones de combat ou de bombardement au sein de la Bande de Gaza?
Vous connaissez la géographie de la Bande de Gaza tout comme moi et vous voyez bien que le territoire est bordé d’une part par la mer Méditerranée et que les espaces terrestres sont entièrement cerclés par un mur et des obstacles barbelés. La seule issue pour les populations civiles c’est le passage de Rafah qui jouxte la frontière sud de Gaza et même cette issue est fermée par l’Egypte… Du coup, les civils palestiniens essaient de rejoindre ce passage pour sortir par des corridors préétablis, mais là également l’armée israélienne a mis en place plusieurs check points, notamment sur l’axe nord-sud afin de filtrer le passage des populations, arrêtant systématiquement tous les hommes de moins de 60 ans et adolescents à partir de 16 ans de façon totalement indiscriminée. Selon les réfugiés, ce qui contrevient totalement à toutes les règles du droit humanitaire. Israël utilise d’ailleurs toutes sortes de systèmes électroniques comme des caméras à reconnaissance faciale pour identifier les populations et les ficher. D’ailleurs, nous avons été stupéfaits de découvrir que l’armée israélienne disposait de listes très précises de Palestiniens fournis par plusieurs Etats de la région ainsi que par l’Autorité palestinienne… Même les ressortissants d’autres pays ou les Palestiniens disposant de passeports étrangers n’ont été autorisés à sortir de Gaza qu’après de longues négociations et de nombreuses vérifications d’identité très inhabituelles avec les chancelleries des pays concernés. Nous avons vu la séparation des familles, et les conjoints palestiniens et même les enfants qui n’avaient pas de passeport ne pouvaient pas quitter les lieux vers l’Egypte…
Enfin, ce qui nous a encore étonné, ce fût de constater le fait qu’arrivé à Rafah, les autorités égyptiennes ont confisqué des téléphones de réfugiés pendant le tournage d’une vidéo, leur a demandé de les effacer et ont fait effacer les images enregistrées et ne leur a donné que 36 heures pour quitter le sol égyptien, leur interdisant même de parler à la presse ou à toute instance officielle internationale. Plus globalement, nous avons pu constater avec un certain désarroi, que les civils égyptiens sur place, employés d’hôtel et autres, étaient engagés volontairement jour et nuit pour nous aider à faire passer l’aide humanitaire de l’OIPC alors que les autorités officielles égyptiennes et notamment les forces de défense civile égyptienne ne nous ont apporté aucun soutien logistique… L’aide humanitaire faisant même l’objet d’un chantage diplomatique et de négociations de subsides financiers sur lesquels je ne pourrais malheureusement pas tout dire…
3). Comment qualifieriez-vous l’action des autorités israéliennes ?
Toutes les violations du droit humanitaire international sont visibles à Gaza au point que je peux affirmer sans risques, que je n’ai jamais vu une pareille situation dans aucun autre conflit dans le Monde. Israël ne respecte pas les droits humains les plus élémentaires et agit en l’absence de toute responsabilité morale à l’égard de la communauté internationale et en l’absence de toute norme humanitaire. Le contraste est édifiant par exemple avec la situation en Ukraine ou pratiquement tous les affrontements sont documentés de façon très précise avec une implication des autorités judiciaires ukrainiennes et russes qui ouvrent chacune des enquêtes judiciaires, conformément aux règles d’engagement régies par le droit international. Dans le cas d’Israël, c’est tout au contraire un black-out total. La presse et les agents des organisations internationales sont systématiquement visés.
D’ailleurs, on parle beaucoup du Hamas en tant qu’organisation terroriste dans les médias occidentaux mais on oublie que la bande de Gaza est sous occupation et qu’Israël en tant que puissance occupante doit répondre d’obligations en termes de droit international et de droit de la guerre, notamment protéger les populations civiles. Or ce que nous observons, c’est tout le contraire, rien n’est en mesure d’arrêter Israël sur le terrain. Et dans ce cas, à mon avis, Israël ne se comporte pas comme un État, mais comme une organisation dont vous qualifierez la nature à votre guise.
4). Que devrait faire la communauté internationale face à ce désastre ?
Aujourd’hui, il est clair que la communauté internationale à l’image des ONG et des organisations internationales a totalement disparu sur le terrain à l’exception notable du CICR qui réalise un travail exceptionnel dans des conditions inimaginables. Beaucoup de pays ont livré d’importantes quantités d’aide humanitaire sans quelle-ci ne puisse être livrée aux populations qui sont confrontés à un dénuement total. D’ailleurs, le Monde entier peut constater avec horreur qu’Israël utilise contre des civils des armes terrifiantes comme des bombes d’une tonne dont le champ de létalité couvre un périmètre de 400 mètres autour du point d’impact. Quand l’on sait que l’aviation israélienne a largué plus de 30.000 bombes en tous genres sur les bâtiments d’habitation, je vous laisse imaginer toute l’ampleur des dégâts humains et matériels. Tous ces bombardements cumulés sur Gaza représentent l’équivalent de plusieurs bombes d’ Hiroshima…… Nous avons d’ailleurs pu ausculter des victimes palestiniennes de bombardements au phosphore blanc et vous pouvez constater l’horreur des blessures et les souffrances que continuent d’endurer ceux qui parviennent à en survivre. Nous avons-nous même été choqués par la gravité des plaies et il nous a été difficile de regarder même les blessures de ces victimes.
5). Pour finir, qui peut agir pour mettre fin au désastre ?
Plus globalement, je voudrais exprimer ma stupéfaction quant à l’attitude d’un certain nombre d’Etats du Moyen-Orient qui n’exercent aucune pression sur Israël et ses alliés et qui attendent tout au contraire que l’Europe et les Etats-Unis le fassent à leur place…. Je ne comprends pas cette passivité alors même qu’ils ont les moyens d’exercer un rapport de force. Cette situation comme le positionnement de certains Etats sont très étranges.