Auteur: Pascal Najadi – 05/09/2022
La Suisse se repositionne maintenant comme combattant de la troisième guerre mondiale
Par Pascal Najadi
Ceux qui chérissent la neutralité suisse peuvent lui dire adieu.
Malheureusement, le démantèlement de nos fondements séculaires a commencé. Il suffit de regarder la façon dont notre pays s’est positionné par rapport à la guerre en Ukraine.
Peu après le début des hostilités, le président Ignazio Cassis a fait une remarque publique au président ukrainien Volodymyr Zelensky :
“Nous sommes impressionnés par le courage avec lequel votre peuple se bat pour la liberté et la paix,” et,
“Nous sommes impressionnés par la façon dont vous défendez les valeurs fondamentales du monde libre, qui sont aussi les nôtres.”
Ses sentiments reflètent l’opinion largement répandue selon laquelle l’invasion de l’Ukraine par la Russie a été mortelle, destructrice et perturbatrice – et n’était pas nécessaire. Des drapeaux ukrainiens ont flotté dans tout le pays en signe de solidarité. Des manifestations pro-Ukraine ont été organisées. Selon Swissinfo.ch, on estime à 40 000 le nombre de participants à Zurich ; à Berne, ce nombre a atteint 20 000 personnes. La dimension émotionnellement évocatrice de la guerre ne peut être niée.
Mais au-delà de cela, les propos du président recèlent des biais. Ils peuvent être mieux perçus si nous insérons dans ses remarques un biais russe.
Voici des remarques hypothétiques que le président Cassis aurait pu faire au président Vladimir Poutine :
“Nous sommes impressionnés par le courage avec lequel votre peuple se bat pour obtenir des garanties de sécurité face à l’avancée hostile de l’OTAN à vos frontières” et,
“Nous sommes impressionnés par la façon dont vous vous défendez contre la propagation du néonazisme dans l’Europe moderne, une cause conforme à nos valeurs fondamentales.”
Cela reflète clairement le point de vue russe. Chaque point de vue a son propre ensemble d’hypothèses. Une position neutre consisterait à ne favoriser aucun des deux. Mais ce n’est pas la voie choisie par la Suisse. Notre gouvernement a agi d’une manière qui suggère la partisanerie, et non la neutralité.
Un autre exemple est la “Conférence de redressement de l’Ukraine” convoquée par les présidents Cassis et Zelensky. Elle s’est tenue à Lugano en juillet. Les organisateurs indiquent qu’elle a été “suivie par plus de 1000 personnes, dont 5 chefs d’État et de gouvernement, 23 ministres et 16 vice-ministres”.
Il est indéniable que l’Ukraine aura besoin d’une aide au redressement à un moment donné. Mais il y a ici un préjugé implicite qui passe facilement inaperçu. Il s’agit du fait qu’il doit y avoir un gagnant et un perdant dans la guerre, et que la Russie est le perdant présumé. Cela exclut la possibilité d’une conclusion mutuellement acceptable. Au contraire, cela appelle à la domination d’un côté sur l’autre.
Le président devrait prendre la mesure de la gravité de la situation. Cela n’a rien à voir avec un conflit régional dans les Balkans. Ce n’est pas comme la lutte des dirigeants baltes pour débarrasser leurs pays des vestiges de la période soviétique. Nous parlons d’un conflit qui oppose franchement la Russie aux États-Unis. Elles seules sont des superpuissances nucléaires prééminentes, capables d’infliger des dommages étendus à la planète. L’absence d’un règlement véritablement pacifique de la question ukrainienne pourrait, de manière réaliste, conduire au déclenchement de la Troisième Guerre mondiale – et compte tenu du parti pris du président Cassis, la Suisse serait probablement un combattant. Est-ce là où nous voulons être ?
Lorsque le président a félicité l’Ukraine pour son combat pour la paix, il n’a pas été honnête. Les circonstances indiquent clairement qu’il parlait de domination et non d’une résolution pacifique.
Plaider pour la domination n’est pas une position neutre. C’est une position dangereuse. Les actions de notre président ne sont pas dignes de l’héritage suisse. Il devrait le protéger, et non le détruire.
Une position constructive pour la Suisse serait d’invoquer notre attachement à la neutralité et de rechercher une paix qui soit réellement pacifique. Ce serait la façon suisse de faire les choses.
Mais au lieu de cela, sous la direction de Cassis, nous voyons dans nos rues un nombre croissant de voitures de luxe portant des plaques d’immatriculation ukrainiennes : BMW, Mercedes, Bentley. On peut se demander combien de leurs propriétaires bénéficient aujourd’hui d’avantages liés au statut S de notre part.
Une Suisse fidèle à ses racines, avec un retour à une neutralité honnête, pourrait jouer un rôle clé dans la conclusion pacifique de la guerre en Ukraine.
Intensifier la guerre n’est pas la solution pour mettre fin à la guerre. Le simple fait de déverser davantage d’armes en Ukraine n’est pas la solution. En effet, il s’agit d’une action d’escalade.
Une solution véritablement pacifique doit être trouvée par la diplomatie, et non en encourageant davantage de mort et de destruction.
La France et l’Allemagne ont conjointement fait une tentative ratée d’avancée diplomatique. On y fait généralement référence sous le nom d’accords de Minsk. Au départ, ils avaient l’apparence d’un succès. À l’époque où le conflit armé était encore limité à la région du Donbass, la Russie et l’Ukraine ont été amenées à s’entendre sur un cessez-le-feu et sur l’intégration des républiques du Donbass à l’Ukraine d’une manière mutuellement satisfaisante.
Les deux signataires se sont toutefois accusés mutuellement par la suite de refuser d’appliquer l’accord. Au final, la France et l’Allemagne n’ont rien fait pour promouvoir le respect de l’accord.
Rétrospectivement, cela ne devrait pas être une surprise. Elles sont toutes deux membres de l’OTAN et sont activement engagées dans le soutien des hostilités. Si c’est dans leur intérêt, soit ils doivent en tirer un avantage quelconque, soit leurs actions relèvent de la folie absolue.
Confier la résolution de la guerre en Ukraine à un membre de l’OTAN équivaut à confier au renard la garde du poulailler ou à un voleur de banque la garde d’une banque.
Cette tâche revient à un pays véritablement neutre, tel que défini dans la Constitution suisse. Ce pays a une occasion unique de jouer un rôle central dans la fin de la guerre. Mais avec la nouvelle orientation de notre pays, c’est une occasion perdue. Avec des enjeux aussi importants en Ukraine, cela représente un crime moral de premier ordre.
Il est impératif que le président Cassis en prenne note et change de direction. Voici ma prescription pour un changement suisse :
1. Abandonner immédiatement l’esprit partisan de l’OTAN.
2. Retirez votre soutien aux sanctions inspirées par la guerre. Cassis a choisi de soutenir les sanctions de l’UE, mais pas celles de la Russie. La neutralité exige d’honorer les sanctions d’aucune des parties.
3. Se retirer de tout rôle suisse qui pourrait impliquer de faciliter la fourniture d’armes à utiliser dans la guerre.
4. Reconnaître que les décideurs ultimes dans ce conflit sont la Russie et les États-Unis. Il est évident que l’OTAN, l’UE et l’Ukraine marchent en grande partie au rythme d’un tambour américain. La Suisse devrait chercher à ouvrir des négociations avec les principaux protagonistes, la Russie et les États-Unis, de préférence sur le territoire suisse.
5. Accueillir la renégociation des préceptes de base des accords de Minsk, mais cette fois avec la Russie et les États-Unis comme principaux acteurs. Il s’agirait de parvenir à un cessez-le-feu et de trouver un moyen mutuellement acceptable d’intégrer d’une manière ou d’une autre les républiques du Donbass à l’Ukraine.
6. S’efforcer de répondre aux préoccupations de sécurité publiquement proclamées par la Russie vis-à-vis de l’Ukraine, y compris l’exclusion des dirigeants ukrainiens des personnes qui s’identifient, en paroles ou en actes, à l’idéologie néonazie.
7. Chercher à obtenir l’accord de la Russie pour la tenue d’un référendum sous surveillance suisse visant à confirmer le statut actuel de la Crimée.
L’heure de l’action suisse a sonné. C’est une occasion à ne pas manquer pour créer une paix durable. La Suisse peut à nouveau être un îlot de paix grâce à sa riche histoire de médiation entre des États en guerre.
Pour cela, la Suisse doit reprendre son rôle de neutralité. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons faire valoir la force unique de notre pays sur la scène de la diplomatie internationale.
Je ressens une passion particulière pour cette question, qui découle d’un lien familial historique. Mon arrière-grand-oncle, Rudolf Minger, a été président de la Confédération suisse au siècle dernier. Il était un grand protecteur de l’indépendance et de la neutralité de notre nation.
Il est midi et tout retard dans l’action augmentera le risque d’une nouvelle escalade. Nous sommes au milieu d’un conflit déjà tendu, au-delà duquel le monde n’a jamais vu.
La paix doit l’emporter sur la guerre. Il n’y a pas deux façons de le dire. La neutralité de la Suisse est la clé du succès. J’espère sincèrement que le président Cassis le comprendra.
Pascal Najadi est un ancien banquier d’affaires suisse. Il a travaillé pour le Dresdner Bank Group en tant que responsable des marchés émergents à Londres, conseillant les principaux gouvernements de Russie, d’Europe centrale, d’Asie centrale, d’Afrique et du Moyen-Orient de 1991 à 2002. Depuis lors, il a été conseiller stratégique auprès de nombreux gouvernements et réside aujourd’hui. en Suisse en préretraite.